Tout commence par un beau rêve... Ne comptez pas sur moi pour vous raconter une histoire larmoyante sur mon enfance. Je n’ai connu aucun drame, mes parents étaient - et sont encore - des gens formidables et aimants. Restaurateurs, les revenus de la famille étaient assez aisés, ça fonctionnait bien, alors ma soeur et moi avons pu faire les études que nous souhaitions entreprendre. Clara est devenue journaliste, et actuellement elle bosse en Amérique au San-Francisco Chronicle, tout va bien, merci pour elle ! Moi, j’ai fait des études en sciences politiques et pendant quatre ans j'ai été assistante du Maire en fonction à Cairn. Mais n’allons pas trop vite et revenons un peu en arrière, d’accord ?
Comme je vous disais, mon enfance a été tranquille. Ma soeur Clara est ma cadette de deux ans et on s’entend merveilleusement bien. Nous sommes très complices et comme nos parents bossent beaucoup, je me fais dès mon plus jeune âge un devoir de veiller sur elle. Ca me donne un petit côté mature, mais c’est vrai que je l’ai toujours été. Ca n’a jamais été mon genre de jouer à la fille débauchée qui passe son temps en boîte de nuit à picoler et à danser, j’ai toujours été raisonnable. Trop, peut être.
J’ai seulement 14 ans quand je rencontre Matt. Il a deux ans de plus que moi et tout de suite le courant passe entre nous. On passe du temps ensemble, on flirte gentiment, sans plus. C’est qu’à cet âge, deux ans, ça fait tout de suite beaucoup, moi je ne suis pas prête à aller plus loin et à m’affirmer être sa «petite amie». Les mois passent, et on finit tous les deux par sortir avec quelqu’un d’autre, de notre âge, mais ni pour lui ni pour moi ça ne fonctionne. C’est toujours amis, mais avec des envies de plus, que je lui dit au-revoir quand il part étudier à l’université.
Et c’est quand quelqu’un vous manque que vous vous rendez compte à quel point vous tenez à lui. Matt était mon confident, mon meilleur ami, celui à qui je confiais tout. Il m’a toujours respectée et nous sommes sur la même longueur d’ondes. Alors on se téléphone toutes les semaines, on s’écrit, et c’est comme ça qu’il m’a officiellement déclaré sa flamme. Quand j’ai fait mine de ne pas comprendre ses allusions, sa réponse a fusé «Arrête de faire ton kinder, je t’aime, banane !». J’ai perdu ma voix pendant deux jours tant j’ai crié !
Bien entendu, personne n’aurait parié un kopeck sur notre couple. On n’était pas dans la même université, lui étudiait l’architecture, moi je commençais mes études en sciences politiques à l’autre bout du pays. Du coup on ne se voyait que pendant les vacances, et encore, pas les trop courtes. C’était pas gagné, pourtant quelques années plus tard, trois mois après que j’ai obtenu mon diplôme, on se mariait.
Il me fallait alors trouver un travail. Enseigner ne m’intéressait pas, alors j’ai posé ma candidature auprès de tous les partis et candidats politiques de la région. C’est ainsi que j’ai obtenu un stage dans l’équipe de celui qui allait, quelques temps plus tard, devenir Maire. Au début je répondais au téléphone, distribuais des tracts en période d’élections, dactylographiais des courriers. Je faisais du bon travail, j’amenais des idées et des réflexions, alors petit à petit j’ai grimpé les échelons pour devenir le bras droit de celui qui était devenu Maire l’année précédente. Une belle promotion, même si petit à petit, je commençais à m’ennuyer dans ce travail. Je me rendais compte que ma véritable passion, c’était la peinture, et je n’avais pas énormément de temps à y consacrer...
... Et finit par se casser la gueule.Le travail que j’occupais était vraiment très prenant. Matt, de son côté, n’était pas en reste. Pour prouver sa valeur et avoir une place d’associé au sein du cabinet dans lequel il bossait, il devait faire ses preuves et travailler sans compter, ramener des contrats, plaire aux clients de la société. Tout comme moi, il travaillait au bureau, et ramenait du travail à la maison. On était crevés, tous les deux, et ça nous mettait sur les nerfs. En plus, je suis tombée enceinte, alors que ce n’était pas prévu au programme pour l’instant. Vous saviez que la pilule n’est pas efficace à 100 % ? Et bien moi maintenant je le sais.
Je n’ai pas vécu cette grossesse avec la sérénité que j’aurais voulue. Matt était ravi à l’idée d’être père, et moi aussi j’étais contente, mais j’étais tellement obnubilée par tout ce qui concernait le travail, l’organisation, tout ce que ça allait chambouler dans notre vie, que j’étais incapable de profiter à fond de ce beau moment. J’étais de mauvaise humeur, et par mon attitude, mon mari pensait que je ne voulais pas de l’enfant et m’en tenait rigueur.
J’ai fini par donner naissance à une magnifique petite fille, Liloo, et j’interdis à qui que ce soit de douter de l’amour que je lui porte ! Non, j’adore ma fille, mais je me sens mal dans ma vie. Maintenant je réalise que c’est à cause de la distance qui s’était installée entre Matt et moi. Nous avions toujours été si proches lui et moi... J’avais besoin de lui mais il n’était pas là. Il avait besoin de moi, et je n’étais pas là non plus. C’est con, hein ?
Quelques mois après la naissance de Liloo, j’ai fait la plus grosse connerie de ma vie. Un des amis de Matt que je connaissais bien est venu à la maison pour le voir, mais il n’était pas là. Ce jour là il ne devait pas bosser, mais le bureau avait appelé parce qu’il y avait un problème sur un dossier qu’il gérait. Il était donc parti une heure plus tôt et je n’avais aucune idée de quand il rentrerait. Moi qui voulais essayer de parler avec lui, qui espérais qu’une bonne discussion allait nous rabibocher, j’étais mal depuis son départ. Cet homme m’a écouté, il a eu des mots gentils, a tout fait pour me rassurer... Et quand Matt est rentré un peu plus tard, il m’a surprise à califourchon sur son ami, en train de l’embrasser à pleine bouche.
Ca n’est pas de la colère que j’ai vu dans ses yeux... C’est de la douleur, de la douleur pure. Et j’ai compris à ce moment là que rien n’était plus important que lui, que notre couple. Il était mon premier amour, le seul que j’ai jamais connu, et après toutes ces années je l’aimais encore comme une folle. Aucun boulot ne peut être plus important que ça. Alors j’ai démissionné, et je me suis mise à la peinture.
Matt n’est pas parti, mais c’est tout comme. Il m’a bien précisé que s’il restait à la maison, c’était pour Liloo, pas pour moi. Je sais qu’il m’aime encore, mais j’ai perdu sa confiance et son respect. Aujourd’hui notre fille a dix-huit mois, et chaque jour que dieu fait je tente de reconquérir le coeur du seul homme que j’ai jamais aimé. C’est devenu mon seul but, mon seul rêve.